Fait N° 98

Des Arméniens continuent de vivre en Turquie…

L’empire ottoman échoua dans sa tentative pour anéantir totalement le peuple arménien. Certes, une grande majorité de la population a été liquidée ou déportée des zones qu’elle habitait de longue date. Néanmoins, des Arméniens ont subsisté en Anatolie et en Asie Mineure – ce qui est devenu la république de Turquie. En fait, le traité de Lausanne de 1923, par lequel la Turquie dirigée par Mustafa Kemal était reconnue par la communauté internationale, comprenait des clauses relatives aux droits des trois minorités du pays : les Arméniens, les Grecs et les Juifs. Ces droits n’ont jamais été accordés, ni respectés depuis 90 ans.

De nombreux Arméniens – anciens sujets ottomans, devenus citoyens turcs – continuent de résider dans ces mêmes villes et villages ancestraux, dont leurs compatriotes furent chassés d’une manière ou d’une autre. Au cours du 20ème siècle, il y eut un effort concerté des Arméniens pour rejoindre Constantinople, l’actuelle Istanbul, devenue le centre arménien majeur d’une communauté turco-arménienne nouvelle, évoluée. Les Arméniens y bénéficient d’une marge de manœuvre, en dépit de tensions constantes avec le gouvernement.

Cette communauté ne ressemble pas à la « diaspora traditionnelle » qui s’est développée dans le monde arabophone, en Iran ou en Occident. Il n’existe aucune institution affiliée à un parti politique. L’Eglise arménienne est essentiellement sous le contrôle du gouvernement d’Ankara. Certes, des journaux et des écoles existent et continuent de fonctionner, bien que, là aussi, sous l’œil vigilant de l’Etat qui n’est jamais bien loin. De fait, les écoles (et les églises) arméniennes de Turquie arborent très souvent le drapeau au croissant et à l’étoile, près d’un portrait ou d’un buste d’Atatürk. Le slogan « Ne mutlu Türküm diyene » a été entonné par plus d’une génération d’élèves turco-arméniens – « Heureux celui qui se dit Turc. »

Les Arméniens d’Istanbul – les Bolsahays – ont très longtemps formé un monde à part, déconnecté de la diaspora arménienne. Les choses ont changé au cours des vingt dernières années, avec l’émergence d’une Arménie indépendante toute proche et des échanges d’information plus importants grâce aux nouvelles technologies. L’activité du journal bilingue Agos et le meurtre de son rédacteur en chef et fondateur Hrant Dink en 2007 ont aussi joué un rôle important dans la création et le maintien de canaux de communication entre Istanbul, Los Angeles, Buenos Aires, Sydney, Moscou et Erevan. (Voir notre article sur Hrant Dink et son assassinat.)

Les Arméniens de Turquie restent la seule communauté à être à la fois prise en étau, mais aussi dans la position la meilleure qui soit pour lutter de l’intérieur en vue d’un changement en Turquie et être en contact immédiat avec une grande partie du patrimoine arménien perdu lors du génocide. En fait, de nombreux Bolsahays ne se considèrent pas comme étant en diaspora; ils demeurent dans leur patrie.

Naturellement, un grand nombre d’Arméniens de Turquie est aussi parti. Tandis qu’ils émigraient en Occident, Erevan – et ailleurs en Arménie – est devenue la source d’une nouvelle vague d’Arméniens en Turquie. Depuis les années 1990, les Arméniens d’Arménie partent à Istanbul pour ses opportunités économiques. Ils travaillent comme ouvriers, parfois aides à domicile, souvent dans le commerce. Ils ne sont pas citoyens de Turquie. A un moment donné, en 2010, le Premier ministre Erdoğan a menacé de les expulser, suite à des résolutions sur le génocide arménien adoptées dans des pays occidentaux. En 2015, le président Erdoğan a réitéré cette menace, suite à des appels du Parlement Européen en faveur d’une reconnaissance du génocide, dans le cadre des préparatifs du Centenaire.

Parallèlement, c’est sous le gouvernement Erdoğan à Ankara qu’une ouverture d’esprit croissante a été adoptée concernant les minorités de Turquie en général et les Arméniens en particulier. Des colloques sur le génocide arménien, par exemple, se sont tenus – même si certains ont connu nombre de difficultés dans leur organisation. Un colloque sur les Arméniens islamisés à Istanbul, en novembre 2013, par exemple, a mis en lumière le phénomène des « crypto-Arméniens » – les descendants de ceux qui survécurent au génocide et qui, turquifiés ou kurdifiés, adoptèrent l’islam. Ces habitants, qui ont tenu secrètes leurs origines arméniennes, sont récemment « sortis du placard, » les Arméniens de la région du Dersim (Tunceli) étant à l’avant-garde d’une identité arménienne renouvelée.

En dehors des Arméniens musulmans à partir de 1915, la catégorie des Hamchènes représente elle aussi, depuis quelques années, un sujet brûlant dans les milieux arméniens. Les Hamchènes se composent de plusieurs groupes de populations originaires du nord-est de la Turquie (et jusque sur les côtes de la mer Noire dans le Caucase), qui pratiquent l’islam depuis des siècles – et qui parlent aussi un dialecte arménien. L’étude et la documentation réelle de leur histoire ont tout juste commencé à être entreprises.

Traduction : © Georges Festa


Références et autres ressources

1. Tessa Hofmann. Armenians in Turkey Today: A Critical Assessment of the Situation of the Armenian Minority in the Turkish Republic. The EU Office of Armenian Associations of Europe, 2002
2. “Turkey’s Secret Armenians”, Al-Monitor, February 19, 2013
3. “Not dead yet”, The Economist, November 16, 2006
4. Vercihan Ziflioğlu. “Islamized Armenians voice their 100 years in ‘purgatory’”, Hürriyet Daily News, November 6, 2013
5. Chris Bohjalian. “In a Turkish town that had 10,000 Armenians, now there is only one”, The Washington Post, June 7, 2013
6. “Turkey threatens to expel 100,000 Armenians”, BBC News, March 17, 2010
7. “Erdoğan threatens to deport Armenian citizens in Turkey”, Today’s Zaman, April 15, 2015
8. Wikipedia: “Armenians in Turkey
9. Wikipedia: “Hemshin peoples
10. Wikipedia: “Crypto-Armenians


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Titre de l'image

L’église de Vakıflı, l’unique village arménien subsistant dans la Turquie actuelle, sur la côte à l’extrême sud-est du pays, près de la frontière avec la Syrie.


Source et attribution

By Raffi Kojian (Own work) [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons


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