Fait N° 91

En 1698, le capitaine Kidd, un pirate, s’empare d’un navire marchand arménien dans l’Océan Indien.

La migration forcée des Arméniens de la région de Djougha (Djoulfa) en 1604 dans ce qui constitue aujourd’hui l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan s’inscrivait dans un grand projet du shah Abbas Ier de Perse, visant à créer un no-man’s land entre ses possessions et celles de l’empire ottoman. Il est vrai que beaucoup de souffrances en résultèrent. Néanmoins, les Arméniens bénéficièrent de privilèges particuliers pour pratiquer leur culture et, en particulier, poursuivre leurs activités et leur commerce, dans le quartier de la Nouvelle-Djoulfa, créé spécialement pour eux dans la cité impériale d’Ispahan, lequel continue d’être un foyer de la communauté arméno-persane aujourd’hui.

En l’espace d’une ou deux générations, la Nouvelle-Djoulfa devint le pivot d’un vaste réseau de négociants arméniens qui, durant plus de cent ans, voyagèrent de Madras à Londres, d’Amsterdam à Yokohama, de Moscou à Manille. Sans exagérer le moins du monde, il est juste de dire que les Arméniens influèrent profondément la circulation globale des marchandises, parvenant à avoir la haute main sur le commerce avec et parmi les acteurs majeurs de cette époque, gérant leurs propres navires, parfois même sous leur propre enseigne.

Comment firent-ils ? Les Arméniens de la Nouvelle-Djoulfa mirent en place ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’école de commerce, formant de jeunes hommes, susceptibles de travailler comme agents (appelé un « commenda ») pour le riche négociant, qui possédait les marchandises et le capital (appelé un « khodja » ou « khwadja »). Lequel agent se chargeait d’une expédition qui pouvait durer de quelques années à une décennie ou plus – le temps nécessaire pour voyager, par exemple, de Lhassa sur le plateau tibétain à Venise sur la mer Adriatique. Le commenda devait s’assurer de l’équilibre budgétaire pour le khwadja à son retour, naturellement, ne gardant qu’une partie des bénéfices pour lui. Outre les calculs, les liens de confiance entre les divers associés dans ces entreprises découlaient en partie de leur milieu arménien commun de la Nouvelle-Djoulfa – mais aussi des rumeurs qui revenaient à la Nouvelle-Djoulfa par l’entremise d’autres négociants arméniens du réseau, ainsi que de l’Eglise arménienne, qui se diffusait parallèlement au commerce. Le khwadja gardait aussi la famille de son agent au sein de son foyer durant l’absence de cet agent, comme garantie supplémentaire.

L’impact significatif des marchands arméniens sur le monde du commerce au début de l’ère moderne se reflète dans l’histoire du Compagnie Quedagh. Ce navire transporteur, appelé aussi Compagnie Cara ou Kary, fut capturé par le corsaire William Kidd, quelque part dans l’Océan Indien en 1698. Il le conduisit ensuite dans les Caraïbes. Pendant ce temps, la couronne britannique, qui possédait des droits sur les marchandises à bord de ce bateau, déclara le capitaine Kidd pirate et hors-la-loi. Kidd se retrouva accusé en Angleterre, alors qu’il avait déjà brûlé le Compagnie au large des côtes de l’actuelle République Dominicaine. La découverte du naufrage en 2007 fit la une de la presse internationale. Un musée consacré au navire a été créé dans la République Dominicaine en 2011.
– – –
Le professeur Sebouh Aslanian, de l’UCLA [University of California Los Angeles] nous a fait part de ses observations : « Merci pour cet article. Deux points sont à préciser. Le ‘commenda’ renvoie au contrat en tant que tel, tandis que la personne impliquée était un ‘agent du commenda’ ou ‘enker.’ Par ailleurs, le nom exact du navire est le Compagnie Queda ou Quedah, du nom d’un endroit situé sur la côte en Asie du sud-est. ‘Quedagh’ est incorrect ; j’y vois une variante russifiée de Yuri Barseghov. »

L’équipe du Projet 100 Years, 100 Facts tient à remercier le professeur Aslanian pour sa réaction.

Tout commentaire, suggestion, réclamation, question ou éloge de la part des lecteurs, ainsi que les échanges corrects, argumentés et respectueux, sont bienvenus sur 100years100facts@gmail.com ou les réseaux sociaux.

Traduction : © Georges Festa


Références et autres ressources

1. Sebouh Aslanian. From the Indian Ocean to the Mediterranean: The Global Trade Networks of Armenian Merchants from New Julfa. University of California Press, 2011
2. Martin W. Lewis. “Sebouh Aslanian’s Remarkable Reconstruction of an Early Modern Trade Network”, GeoCurrents, May 2, 2012
3. Blue Networks. “The Trading Network of the Armenians of New Julfa
4. Nareg Seferian. “Following the Remarkable Footsteps of Our Merchant Ancestors”, The Armenian Weekly, September 28, 2011
5. National Geographic. “Channel: Shipwreck! Captain Kidd
6. Emil Sanamyan. “Long-lost Armenian ship, the stuff of legend, to become a ‘living museum’ in the Caribbean”, The Armenian Reporter, June 5, 2009
7. “Caribbean museum for 17th cent Armenian ship launched”, The Armenian Reporter, July 22, 2011


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A depiction of what records indicate Armenian ships would fly as their own civil flags in the 17th-18th centuries.


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By UeArtemis (Own work) [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons


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